Pouvoir magique de l'expression et groupe fini dont tous les éléments sont d'ordre 2.
J'interrogeais
un élève au tableau, à propos d'un exercice consistant à prouver
que le cardinal d'un groupe fini dont tous les éléments sont
d'ordre deux est une puissance de deux. Nous venions de terminer la
preuve de ce résultat en utilisant des techniques élémentaires qui
rendaient la démonstration à la fois trop artificielle et trop
astucieuse. Comme j'en étais gêné, j'en suis venu à expliquer à l'élève en question
la vraie raison par laquelle ce théorème devenait éminemment
naturel. Il s'agissait simplement de remarquer que chaque élément
étant d'ordre 2 dans ce groupe G, G était abélien et qu'il se trouvait donc naturellement muni d'une structure d'espace vectoriel sur le corps à deux éléments (
corps que l'on va noter k pour plus de commodité). Dès lors G en
tant qu'espace vectoriel est évidemment de dimension finie sur k (
étant de cardinal fini 'il possède évidemment une partie
génératrice finie), il est donc isomorphe à k à la puissance p
pour un certain p; et son cardinal est donc une puissance de deux.
Comme l'élève se révélait manifestement peu à l'aise avec les
structures, j'ai essayé de tout lui réexpliquer en remontant même jusqu'à l'existence, dans un groupe, d'une loi de multiplication externe s'appuyant sur Z, ce qui m'a amené à lui montrer que tout groupe abélien peut-être
vu comme un Z-module et que lorsque les propriétés particulières
de ce groupe permettent de restreindre l'anneau des scalaires à un
sous-ensemble qui a la bonne idée d'être un corps le raisonnement
ci-dessus s'applique sans coup férir... Je n'avais jamais vu les
choses comme cela, d'un point de vue aussi général; je n'avais
jamais si bien senti ce théorème. Je n'avais jamais porté sur lui
un regard aussi juste. C'était un miracle!
Devoir
lui expliquer ce mécanisme, être dans l'obligation de mettre des
mots sur ce que je concevais par ailleurs très bien ( sans qu'il me
soit nécessaire de me le formuler) m'avait forcé à aller au coeur
des choses, à embrasser le paysage dans sa globalité en lui donnant
une cohérence qui m'était inconnue jusqu'alors.
La
vérité de ce théorème était comme une forêt. Je savais
l'existence de cette forêt; je savais précisément son emplacement, et me doutais
d'à peu près tout ce qu'elle contenait – je le savais et à vrai
dire ce savoir de loin me suffisait: je n'avais jamais éprouvé le
besoin de franchir le premier rideau de chênes... Mais cette forêt,
après ce qui s'est passé aujourd'hui, je comprends que je ne la
connaissais pas. Faute de m'être lancé dans son exploration, faute
d'avoir pénétré en elle, d'avoir un peu macéré en elle. Cet
élève, pas très fort en algèbre, m'y a forcé: qu'il en soit
remercié!
En expliquant les choses, en les disant à d'autres, on les comprend mieux...
Seule et ultime justification, au fond, de la psychanalyse.
L'Autre me force à regarder jusqu'au bout de moi-même, jusqu'au fond.
L'Autre m'oblige à faire le dernier pas - celui que je retiens tranquille en moi-même, le jugeant de là-bas tout à fait inutile.
Nécessité de l'Autre - force de sa présence et bénédiction de son existence dont s'enrichit la mienne.
Je pense à la stérilité de toute rumination solitaire.
Je pense à la triste manière dont se rabougrit l'esprit du vieux garçon, devenu, à force de solitude, de repli, de ratiocinations sans vis à vis, une pauvre caricature de lui-même.
Il faut que je trouve moyen de publier mon livre d'Elmo: c'est une nécessité absolue.
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