Le roi est nu et il fait ce qu'il peut, sur le trapèze d'Alain Bashung et d'Albert Cohen




Plus le temps passe, plus je me sens plein d'indulgence pour toutes les formes de superstition.
Comment donc un homme en vient-il à se construire un tel petit système de protection personnelle qu'on nomme d'ordinaire 'superstition'?
Pour tenter de répondre ( un peu ) à la question, je pense à toi mon frère qui est moi.
Je t'imagine, seul sous la voûte du monde. Tu es là et il faut bien t'y faire.
T'organiser d'une manière ou d'une autre.

Quand l'homme voit trop bien la menace dans toute son étendue, et toutes ses conséquences, que lui reste-t-il donc?
Et Dieu sait s'il y en a, au dessus de notre tête, de telles menaces. Rédhibitoires. Et que rien ne vient contrebalancer.
Dans une telle situation, on peut quand même pas rester les bras croisés, sans espoir.
La sagesse populaire le clame: on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Lourd de sombres sous-entendus, l'Evangile affirme 'Travaillez tant que vous avez la lumière'. Et il faudrait que l'homme n'essaie rien dans un tel contexte?!
Mon frère se défend comme il peut. Et je l'aime et je le comprends! Plus il est simpliste et plus je l'aime et le comprends! Ô mon frère de grande naïveté, cher à mon coeur, je prends aujourd'hui pour m'adresser à toi le ton d'Albert Cohen! Oui, je te vois, je te vois, le bientôt macchabée, le prochain enterré, je te vois et je pleure! Je pleure pour toi, et pour moi! Car, de la même espèce, nous sommes promis au même sort! Mon frère se défend comme il peut et je déteste les trop sûrs d'eux-mêmes qui moquent l'absurdité de ses idoles pathétiques, de ses rites désuets, de ses manies irrationnelles. Ces tristes sires sont du parti de la facilité – de faux mathématiciens qui, très fiers d'eux-mêmes, démontrent par a plus b dans des univers où il n'y a rien à démontrer. Risibles avec leur mathématique en bandoulière uniquement les jours où la chasse n'est pas ouverte. Risibles, et je ne supporte pas qu'on se moque de mon frère fragile et qui doute et qui cherche et qui espère, vite, vite avant le tombeau. L'ouragan menace, et bien lui il se met à construire une digue minuscule, une digue qui n'arrêtera pas la vague, mais dont l'existence pourra peut-être lui rendre l'approche du tsunami un peu moins douloureuse. Oui, le plus dur ce sera d'y croire à sa digue; mais s'il y parvient, s'il réussit cet exploit, alors oui la vague le trouvera moins démuni, moins désespéré.
Moi derrière ses superstitions, je vois surtout la touchante nudité du roi.
Oui, le roi est nu, et c'est pour cela qu'il y a superstition.
Et plus la superstition est enfantine, plus le procédé est naïf, et bien plus il faut pleurer – car la taille de ces dérisoires enfantillages est proportionnée à celle du dénuement de mon frère. Son dénuement de ' Chaque homme dans sa nuit'. Qui est le mien aussi.
Moi, Doctus Monkey, je vous le dis: la superstition est à mesure de la lucidité.

Toi et moi, voilà comment on va s'y prendre.
On dira que l'or est caché dans le sable, on dira que les méchants habitent très loin, qu'il y a une clairière au milieu de la forêt et qu'elle est à nous. On dira qu'il me suffit d'une boîte de conserve et d'un bout de tissu pour fabriquer un hélicoptère. On dira qu'on sera jamais mort, qu'on vivra toujours, qu'on se quittera jamais toi et moi, on dira encore des tas et des tas de choses et on y croira à toutes, à toutes, tu m'entends...

Spéciale dédicace à Alain Bashung et à sa chanson 'Sur un trapèze' ( composée, je crois, par Gaétan Roussel)
'On dirait qu'on sait lire sur les lèvres
Et que l'on tient tous les deux sur un trapèze
On dirait que sans les poings on est toujours aussi balèzes
Et que les fenêtres nous apaisent
On dirait que l'on soufflerait sur les braises
On dirait que les pirates nous assiègent
Et que notre amour c'est le trésor
'




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