Bruce Springsteen, son grand hêtre pourpre, le livre d'Elmo et le 25 juin 1985
Je remercie Franck Antunes qui se trouve de fait à l'origine de cet article.
J'ai découvert, ce matin, la page de Franck à la faveur d'un billet qu'il a publié sur Le Club de La Cause Littéraire au sujet de sa lecture de 'John Barleycorn' de Jack London (1913).
Parcourant son mur, je découvre qu'il est fan de Bruce Springsteen, ce qui nous fait un point commun. Voulant me manifester auprès de lui, autrement que par un simple 'j'aime', j'ai écrit la première chose qui m'est passé par l'esprit, à savoir que je lui recommandais la lecture de 'Born To Run' l'autobiographie du Boss. Ce conseil - assez inutile car Franck a l'air d'être un vrai fan - m'a immédiatement fait repenser au grand hêtre pourpre.
Voilà ce que Springsteen en écrit vers la la fin de 'Born To Run', presqu'en guise de conclusion :
'Un soir de novembre, dans la période où j’écrivais ce livre, j’ai pris une fois de plus la voiture pour retourner dans le quartier de mon enfance. Les rues étaient paisibles. L’église au coin de ma rue était silencieuse, ce soir-là ni mariage ni enterrement. En roulant cinquante mètres de plus, j’ai constaté que mon grand hêtre pourpre majestueux avait été coupé au ras du sol. Mon cœur s’est arrêté… puis j’ai mieux regardé. Oui, il avait disparu, mais il était encore là. Dans l’air vibraient encore la silhouette, l’âme et la présence apaisante de mon vieil ami. À présent, ses feuilles et ses branches étaient traversées par les étoiles et le ciel nocturne. Sur ce carré de terre odorante découpé dans le bitume du parking, en bordure du trottoir, quelques racines serpentaient, à demi recouvertes de terre et de poussière, et là la trajectoire de mon arbre, de ma vie, était exposée au grand jour. Aucun décret municipal, aucune tronçonneuse ne pouvait mettre fin à la vie de mon grand arbre. Son histoire, sa magie étaient trop anciennes et trop fortes. Tout comme mon père, ma grand-mère, ma tante Virginia, mes deux grands-pères, mon beau-père Joe, mes tantes Dora et Eda, Ray et Walter Cichon, Bart Haynes, Terry, Danny, Clarence et Tony, ma propre famille partie de ces maisons à présent occupées par des inconnus – nous sommes encore tous là. Dans l’air, dans l’espace vide, dans les racines qui affleurent de la terre et plongent dans le sol, dans l’écho et dans les récits, dans les chansons du temps et du lieu où nous avons vécu. Mon clan, mon sang, les miens, chez moi.
À l’ombre du clocher, alors que je me tenais là une fois de plus, à sentir l’âme ancestrale de mon arbre, de ma ville peser sur moi de tout son poids, les mots d’une prière me sont revenus. Je les avais psalmodiés tant de fois par cœur, sans y réfléchir, répétés indéfiniment, dans le sempiternel blazer-vert-chemise-ivoire-et-cravate-verte de tous les disciples malgré eux de Sainte-Rose. Ce soir-là, ces mots me sont revenus mais ils ne s’écoulaient pas de la même manière. Notre père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié. Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour, pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, ne nous soumets pas à la tentation et délivre-nous du mal… pour les siècles des siècles, amen.
Je me suis battu toute ma vie, j’ai étudié, joué, travaillé parce que je voulais entendre et savoir toute l’histoire, mon histoire, notre histoire, et la comprendre le mieux possible. La comprendre à la fois pour m’affranchir de ses effets nocifs, de ses forces malveillantes, et pour célébrer, honorer sa beauté, sa puissance – et être capable de bien la raconter à mes amis, à ma famille, et à vous. Je ne sais pas si j’ai réussi, et le diable n’est jamais loin, mais je sais que j’ai tenu la promesse que je m’étais faite, que je vous avais faite à vous. Cette histoire, je l’ai composée comme un service à rendre, une longue et sonore prière, mon tour de magie. J’espère qu’elle vous touchera au plus profond de votre âme, puis que vous en transmettrez l’esprit, j’espère qu’elle sera entendue, chantée et altérée par vous et les vôtres. Peut-être qu’elle vous aidera à renforcer la vôtre et à la rendre intelligible. Allez la raconter.'
Ce passage très émouvant trouve de fortes résonances dans ma vie à moi, Doctus Monkey.
Car si j'ai crée ce blog, c'est d'abord pour vous annoncer la venue du livre sur lequel je travaille depuis des années.
Il s'appelle 'Le livre d'Elmo'.
Et j'aurais aimé écrire moi-même les mots - ce grand hêtre pourpre - sous lesquels Springsteen a placés l'oeuvre de toute sa vie; car moi aussi, mon livre d'Elmo, je l'ai entrepris courageusement avec nulle autre idée que celle-ci: trouver un sens, comprendre notre histoire, la dire, la donner à entendre, la mettre dans un bocal où on puisse la trouver; m'en affranchir, mais aussi honorer sa force et sa puissance.
Vous vous doutez bien que j'y reviendrai.
J'ai toujours aimé l'énergie et la force de la poésie de Springsteen. Et puis aussi l'authenticité de ce type du New-Jersey toujours droit dans ses bottes.
Quand je pense à lui, au bout de cinq minutes c'est toujours la même anecdote qui me revient.
J'étais enfant dans les années 80 et il était venu faire un concert à Saint Etienne. C'était l'époque du grand marasme économique, de la désindustrialisation massive de la ville: les usines fermaient les unes après les autres et je me souviens très bien avoir lu dans le journal local auquel mes grand-parents étaient abonnés une information selon laquelle Bruce, en grand prince, avait fait un don mirifique aux chômeurs stéphanois.
En jetant un coup d'oeil sur le net ( cad simplement en tapant Bruce Springsteen Saint Etienne dans la barre de Google), je tombe sur cet article qui me permet de situer exactement la date de l'événement dont je vous parle : 25 juin 1985...
'Le 25 juin 1985, Bruce Springsteen électrise Geoffroy-Guichard
Dans un Chaudron pas complètement plein, 20 000 spectateurs assistent au show du Boss en cette chaude journée de juin. Le concert fera date.
Bruce Springsteen, Saint-Etienne 25 juin 1985 |
En 1985, quatre dates françaises sont au programme de la tournée européenne du Boss, dont celle de Saint-Étienne.
Parmi la foule, Jean-Claude Duverger se souvient d’une chaleur accablante mais aussi d’un vrai show à l’américaine. [...]
Le Boss a du cœur. Trente-deux ans après, Saint-Étienne s’en souvient encore. À l’issue d’un concert comme la ville n’en avait jamais vu, Bruce Springsteen remet un chèque de 10 000 dollars (8 800 euros environ) au bureau d’aide sociale de Saint-Étienne.'
Bruce Springsteen et Clarence Clemons, Saint-Etienne 25 juin 1985 |
1985, c'était l'époque de 'Born in the USA!
Je ne peux pas terminer sans vous faire écouter une grande chanson de Springsteen, ce sera la sublime 'Gave it a Name'
Les férus de séries télé auront reconnu le début de l'épisode inaugural de 'Show me a Hero', une mini-série que le grand David Simon a tourné après 'The Wire' et 'Treme'.
Si vous ne connaissez pas, je ne saurai trop vous recommander d'en visionner les six épisodes, et pas seulement parce que la bande originale est presqu'exclusivement composée de morceaux du Boss. C'est une oeuvre puissamment émouvante qui vous transporte, entre 1987 et 1994, à Yonkers, une ville de la banlieue de New-York, en proie à des tensions communautaristes liées au problème du logement. L'histoire tragique de Nick Wasicsko futur maire de la ville, pris en tenaille entre idéal et ambition sous le joug des promesses qu'on doit faire et qu'on ne peut tenir, montre les difficultés de toute action politique dans un monde changeant dont la complexité ne cesse de s'épaissir.
'Show me a hero and I'll write you a tragedy'. F. Scott Fitzgerald
Je dédie cet article à Stéphanie qui m'a fait découvrir la musique de Spingsteen en m'enregistrant une cassette - ça devait être en 94-95 - sur laquelle figuraient deux chansons qui restent parmi mes préférées.
Commençons évidemment par ' The River' qu'on a chantée ensemble si souvent:
Et puis il fallait bien qu'il y ait aussi 'Brilliant Disguise'.
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