Une République qui tient à l'unique fil de son drapeau, Henri presque V
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Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830) |
La chute de Thiers
à la fin du mois de mai 1873 devait marquer le début d'une étrange
période de l'Histoire de France.
L'Assemblée
Nationale constituée après l'humiliante défaite de 1870 pour gérer
le pays jusqu'au retrait de l'occupant voyait diminuer sa légitimité
à mesure que les derniers soldats allemands quittaient le
territoire.
Elle se trouvait
partagée entre l'influence contradictoire des Républicains, des
Bonapartistes et des Monarchistes. Mais si les Républicains et les
Bonapartistes s'entre-déchiraient, l'entrevue de Frohsdorf, le 5
août 1873, scella l'union des monarchistes, jusque là divisés
entre orléanistes et légitimistes, derrière Henri d'Artois comte
de Chambord. Le maréchal de Mac-Mahon ayant succédé à Thiers
affichait vis à vis des monarchistes une neutralité bienveillante.
Le président du Conseil, le duc de Broglie, lui n'avait pas cette
réserve et il n'hésitait pas à en appeler en public à l'avènement
d'Henri V. Les journaux qui publiaient les discours de Gambetta se
trouvaient immédiatement interdits de diffusion.
Oui, en ces heures
de l'été 73, le fruit semblait mûr, bientôt les rois seraient de
retour sous les cieux de France : la troisième Restauration
n'avait jamais été aussi proche.
Une majorité à
l'Assemblée se dessinait en faveur des Bourbons. Le peuple lui-même
semblait ne désirer rien d'autre qu'un retour à l'ordre et à la
stabilité. Trop de temps avait passé, trop de guerres, trop de
privations pour qu'on se souvienne des idéaux de 89 autrement que
comme de vagues théories. De tous côtés les événements
tournaient en faveur des monarchistes. Que restait-il pour les
retenir de passer à l'action? Six fois, vingt fois durant ce fameux
été 73 ils se réunirent afin d'établir une motion en faveur
d'Henri V à présenter à l'Assemblée, en septembre, lors de la
reprise des débats. Les plus enflammés murmuraient même qu'un vote
ne serait pas nécessaire : il suffisait, prétendaient-ils, que
l'armée vint se positionner autour de l'Assemblée pour qu'on en
appelle au comte de Chambord.
La chose était
acquise, modulo un petit détail. Restant à régler. Si les idées
de Danton et de Robespierre étaient en lambeaux, il subsistait
encore leur bannière. Le tricolore. Agaçant petit caillou glissé
dans la chaussure du colosse monarchiste lancé à grandes enjambées
sur le chemin du rétablissement de la Maison de France. Il ne
pouvait être question que le comte de Chambord adopte un étendard
taché du sang de ses aïeuls. D'un autre côté un retour immédiat
au drapeau blanc semblait à tous absolument inenvisageable,
profondément incongru. Alors comment procéder, comment s'en sortir,
que faire de ce satané drapeau? Les gens avaient oublié 89, mais le
drapeau, lui, il était bel et bien là. Le dilemme du drapeau...
Tout l'été à imaginer des solutions.... L'adjonction aux trois
couleurs d'un ruban blanc, ou bien alors d'une touffe de plumes
blanches... Et si le nouveau roi, à peine couronné, faisait de
lui-même présent du drapeau tricolore à son peuple?!... Mais rien,
rien de réellement satisfaisant. Alors tout l'été à tergiverser.
Tout l'été jusqu'à ce que le tour des monarchistes soit passé.
Et c'est ainsi que,
tant bien que mal, bizarrement, survécut notre République.
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