Johnny Clegg ( 1953-2019), on the road to Phelamanga: la puissance énergétique de la musique et des mots. Savuka: ils se sont levés.



Un peu tardivement – car à l'annonce de sa mort survenue à Johannesburg le 16 juillet 2019 j'étais pratiquement sans connexion internet – je veux rendre hommage à Johnny Clegg.

Si comme moi vous êtes né dans les années 70, vous savez sûrement ce qu'il peut réprésenter – et la tristesse forcément qui nous aura saisis à l'annonce de cette triste nouvelle.

Pour moi, il avait la sagesse de dire et d'accepter la complexité du monde loin de toute simplification; et puis surtout il possédait la force sans laquelle cette sagesse ne porte pas de fruit.
Je me souviens du clip de 'Scatterlings of Africa': un blanc et un noir sur un rocher rouge qui danse violemment devant le soleil couchant; ils tentent furieusement de faire passer leur pieds par dessus leur tête.
Johnny Clegg c'était cette énergie zouloue.



A la fin des années 80, les chansons de Johnny Clegg figuraient au top 50. Comme d'autres chanteurs de rock ou de pop. Pourtant, il était tellement évident qu'il leur ressemblait si peu, lui le juif anglais devenu zoulou qui  avait choisi le camp des opprimés alors qu'il aurait très naturellement pu prendre place dans celui des oppresseurs.

Avec la force et la détermination qu'il mettait dans ses pas de danse, Johnny Clegg chantait, sans démonstration idéologique, contre l'apartheid en Afrique du Sud, contre l'absurdité de ce système oppressif.

'Asimbonanga' c'est à dire littéralement: ' ils ne l'ont pas vu'... Johnny Clegg parlait bien sûr de Nelson Mandela resté prisonnier 27 ans sur l'île de Robben Island et dont il était interdit de faire circuler, dans le pays, la moindre photo.

L'apartheid devait s'écrouler à la façon du bloc soviétique, à peu près en même temps, à la fin des années 80. Si aujourd'hui, on attribue un rôle prépondérant à la catastrophe de Tchernobyl et à l'action du pape Jean-Paul II dans la chute de l'empire soviétique, les mots et la musique auront largement contribué à la fin de l'apartheid.
Vu depuis la France- disons depuis le monde occidental - tout a commencé avec le sublime album de Paul Simon ' Graceland', dont voici un de mes titres favoris 'Diamonds On The Soles Of Her Shoes'





Puis est venu Johnny Clegg, puis Simple Minds avec son 'Mandela Day' - c'était le temps des méga concerts contre l'apartheid à Hyde Park ou ailleurs.



Je me souviens que nos professeurs nous avait emmenés voir le très beau 'Cry Freedom' de Richard Attenborough qui raconte la vie tragique du très grand Steven Biko.




Mais maintenant, quand j'ouvre la pochette de mon 'Graceland', quand je lis la fiche wikipédia de cet album mythique, je lis ceci:

' Graceland features an eclectic mixture of musical styles including pop, a cappella, zydeco, isicathamiya, rock, and mbaqanga. Mbaqanga, or "township jive", originated as the street music of Soweto, South Africa.[13] The album was strongly influenced by the earlier work of South African musicians Johnny Clegg and Sipho Mchunu, and the Zulu-Western pop crossover music realized in their band Juluka. Juluka was South Africa's first integrated pop band. Simon includes thanks to Johnny Clegg, Juluka, and Juluka's producer Hilton Rosenthal in the "Special Thanks" citation included in Graceland's liner notes.'

Alors j'aime à penser que tout a commencé bien avant - dans les années 70 - quand Johnny Clegg a décidé de jouer avec des noirs, quand, en restant avec eux il a perdu le droit de monter dans les bus.
Quand la police l'attendait sur scène, quand il bravait les interdits.
'Malgré la censure et les menaces policières, Juluka se produit en 1985 devant 110 000 spectateurs à l’Ellis Park de Johannesburg, bastion du rugby afrikaner. Face à l’engouement du public, le régime sud-africain, fragilisé par un sévère boycottage international depuis les émeutes de Soweto en 1976, ne peut rien faire.'
Juluka fut le premier groupe de Johnny Clegg.


Johnny Clegg seulement armé de ses mots et de sa guitare a contribué à faire tomber des murs centenaires.
C'est un modèle et un espoir pour tous ceux qui, par leur art, tentent de changer les choses.
Tout à l'heure, pour la chute de l'empire soviétique, je parlais de l'action du pape, de Tchernobyl, j'oubliais Alexandre Soljenitsyne...

Après Juluka, le deuxième groupe de Johnny Clegg s'appelait ' Savuka', c'est à dire, en traduisant depuis la langue zouloue, ' nous nous sommes levés'


Et puis ce n'était pas qu'une question politique.
Johnny Clegg nous parlait des chemins poussiéreux, des ciels cuivrés, des rochers dressés au dessus de la savane .Avant Karen Blixen, c'est lui qui m'a donné idée des splendeurs de l'Afrique et de ses ensorcelantes magies.

'J’ai possédé une ferme en Afrique au pied du Ngong. La ligne de l’Équateur passait dans les montagnes à vingt-cinq milles au Nord ; mais nous étions à deux mille mètres. Au milieu de la journée, nous avions l’impression d’être tout près du soleil, alors que les après-midi et les soirées étaient fraîches et les nuits froides.
L’altitude combinée au climat équatorial composait un paysage sans pareil. Paysage dépouillé aux lignes allongées et pures, l’exubérance de couleur et de végétation qui caractérise la plaine tropicale en étant absente ; il avait la teinte sèche et brûlée de certaines poteries.
Le feuillage léger des arbres, au lieu de former dôme comme en Europe, s’étageait en couches horizontales et paraboliques. Cette structure particulière donnait aux arbres isolés tantôt la silhouette de grands phoenix aux palmes mouvantes, tantôt l’attitude fière et héroïque d’un trois-mâts les voiles carguées ; à la lisière du bois, un frémissement étrange semblait courir et gagner toute la forêt.
Quelques aubépines vieilles et rabougries surgissaient de place en place dans la plaine dont l’herbe sentait le thym et le piment ; l’odeur en était parfois si forte qu’elle prenait aux narines. Les fleurs des prés, les lianes de la forêt étaient en général minuscules, comme celles des plantes grasses qui fixent les dunes. Pourtant au début de la saison des pluies on voyait fleurir différentes variétés de grands lis odorants. Il y en avait à perte de vue, libres et fiers comme la nature de ce pays.'
( Karen Blixen, La Ferme Africaine, traduction Yvonne Manceron)


'... Far below we leave forever
Dreams of what we were...'
(Johnny Clegg, Scatterlings of Africa)



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